A propos de l'Habeas corpus. Jean sans Terre, de l'art de se faite haïr

Suite de "une loi peut-elle périmer?" (lien)

Aliénor d'Aquitaine, d'après son gisant à Fontevrault

 

Jean sans Terre (John Lackland) est le dernier enfant d'Henri II Plantagenêt et d'Aliénor d'Aquitaine son 10ième, à 45 ans ! (Elle en a eu 2 du roi de France et 8 d'Henri). Selon la loi féodale, à la différence de ses frères, il n'a pas reçu de terres à sa naissance bien qu’il fût le fils préféré d'Henri, on ne sait par quel mystère. Il est resté dans l'histoire comme un "traître compulsionnel", par vocation, tyran emblématique remarquable de maladresse et d'entêtement.

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De l'art de se faire haïr. 
L'homme auquel il ne fallait pas tourner le dos.

(d'après AndréLarané, lien)

Un fils-catastrophe
Ce dernier né gâté enchaîne les drames et les traîtrises tout au long de sa vie. Henri lui confie le gouvernement de l'Irlande, cela aboutit à la révolte des Irlandais contre les Plantagenêts. Une autre volte face -plus compréhensible-, en 1189,  il se ligue avec ses frères contre son père pour soutenir Aliénor, emprisonnée 17 ans par la grâce de son mari [il faut dire qu'il l'accuse d'avoir fait empoisonner Rosemonde, sa maîtresse adorée, vrai? Faux? Possible] Aliénor  dont les fils en armes ont pris le parti, même Jean qu'il pensait lui être fidèle à coup de faveurs aussi imprudentes qu'imméritées. Une famille compliquée bien qu' issue d'un mariage glamour entre la belle et turbulente aquitaine (ex reine de France) et le superbe Henri, duc d'Anjou.. et héritier du royaume d'Angleterre... ce qui mit à jamais le "petit" roi de France puis son successeur Philipe-Auguste dans la tenaille de ses deux puissants ennemis et fut à l'origine du début de la guerre franco anglaise.

Contre Richard son frère, un Caïn biblique
Et ça continue. Henri mort, Richard devenu roi, se croise comme il était de règle et pendant qu'il ferraille au loin, Jean tente d'usurper son trône en abattant William Longchamp son "vizir". Richard prévenu nomme alors Walter de Coutances pour reprendre le poste, un archevêque, un homme fort. Mais profitant que son frère est a été fait prisonnier, Jean s'allie au roi de France Philippe II Auguste et avec son soutien organise un soulèvement contre lui. Lorsque Richard Cœur de Lion, (libéré grâce à Aliénor que ses fils ont sortie de forteresse et qui, veuve et libre, d'attaque comme jamais a réussi à réunir l’énorme rançon).. lorsque Richard donc est de retour en 1194 à Londres, il pardonne à Jean... qui en contrepartie fait massacrer la garnison française qui l'a soutenu.

Le viol, un moyen pour s'allier utile
La longanimité ne paie pas lorsqu'on est roi et même lorsqu'on ne l'est pas: quand Richard meurt en avril 1199, au mépris des droits de son neveu Arthur de Bretagne (12 ans), fils de son frère Geoffroy décédé, Jean s'empare de la couronne, se fait reconnaître roi par Philippe Auguste... mais très vite haï de la noblesse comme des bourgeois, du clergé et des paysans, contesté également par ses barons aquitains, il se retrouve une fois de plus dans une situation délicate. S'inquiétant du mariage d’Isabelle d'Angoulême, fille unique du comte d'Angoulême et de Hugues X de Lusignan, comte de la Marche pouvant déboucher sur une puissante principauté rivale, il obtient du pape l'annulation de son mariage, (car il est marié mais n'a pas d'enfants), se rend à Angoulême à la noce, enlève la fiancée (13 ans), l'emmène devant un évêque, somme celui-ci de les marier et la viole derechef, un moyen courant pour s'assurer une belle alliance; Aliénor héritière de l'Aquitaine, plus grande que la France, était elle-même passée tout près autrefois, deux fois de suite, et n'avait dû son salut qu'à une garde bien armée*.

Un Richard III (assassin de ses neveux) avant l'heure
Hugues réclame aussitôt justice à Philippe Auguste, suzerain de Jean pour ses possessions continentales, qui confisque les terres de son ex allié et avec l’appui des barons d'Anjou et du Maine, soutient cette fois contre lui l'héritier légitime, Arthur de Bretagne, adolescent, neveu de Jean... que celui-ci fait aussitôt assassiner ou le tue lui-même car il ne rechignait pas à mettre la main à la pâte.. Mais rien n'y fait, l'année suivante, Philippe Auguste s'empare de Château-Gaillard puis de la Normandie, la Bretagne se soulève à son tour et le Poitou le repousse en 1206. C'est la fin. Jean s'en retourne piteusement en Angleterre, décidé à restaurer ses finances pour reprendre l'offensive plus tard. Et pendant 8 ans il pressure comme jamais barons, nobles, bourgeois et paysans ainsi que l'église. 

Un Henry VIII avant l'heure
En 1205, le pape Innocent III ayant confié à Étienne Langdon l'archevêché de Cantorbéry, Jean, en conflit avec lui, comme l'avait été son père contre Thomas Becket (devenu Saint Thomas) qu'il avait assassiné dans la cathédrale, Jean en chasse les chanoines. Le pape jette l'interdit sur l'Angleterre et le pays de Galles en 1208, excommunie le roi qui en représailles confisque les biens de l'Église. Innocent III le déclare alors indigne de la couronne et offre celle-ci au roi de France ravi. Jean, aux abois s'incline in extremis et se reconnaît en mai 1213 vassal de la papauté. Le pape accepte. 

Sitôt pardonné, il s'allie à l'Empereur d'Allemagne et au comte de Flandre contre le roi de France et il est battu à La Roche-aux-Moines comme ses alliés à Bouvines. Philippe Auguste se prépare donc à envahir l'Angleterre...

Les barons anglais vont l’aider : soulevés contre Jean, ils s'emparent de Londres en mai 1215 et le 15 juin dans la prairie de Runnymede, ils le contraignent à signer la Grande Charte dite habeas corpus (lien) qui limite ses prérogatives et donne aux représentants de la noblesse et du clergé un droit de contrôle sur les finances. L'origine de la démocratie parlementaire. Le roi ne met que quelques mois à renier ses engagements (pris il est vrai couteau sous la gorge) et les barons offrent la couronne au fils de Philippe Auguste, Louis de France, futur Louis VIII le Lion, (père de St Louis) qui débarque avec ses troupes et entre à Londres sans coup férir en mai 1216. Jean détale et a le bon goût de mourir le 19 octobre 1216, laissant le trône à son fils Henri III (9 ans) issu d'Isabelle l'épouse qu'il a enlevée et qui a dû s'adapter, sombre destin des femmes de l'époque ; les barons du nord, unis, consentent alors à baisser les armes, se rallient au roi-enfant, repoussent les français qui rembarquent -avec une confortable indemnité-. Les Plantagenêts sont sauvés de justesse mais l'Angleterre ruinée.

*Isabelle donnera 5 enfants à Jean et, si surprenant que cela paraisse, devenue veuve 20 ans plus tard, épousera son ancien fiancé auquel elle donnera encore 9 enfants. Elle repose aujourd'hui à Fontevraud, la nécropole des Plantagenêts.

Habeas corpus, 13ième siècle... A propos d'Aurore Martin

Habeas corpus; 13ième siècle, Jean sans terre  (lien)
 

Arrachée au 13° siècle par ses barons révoltés au sinistre Jean sans terre, la Grande Charte ou Habeas corpus est toujours un des piliers constitutionnel aux USA, en Angleterre -et partout en Europe, même si la "Magna Carta" n'est pas énoncée dans les mêmes termes-. "Habeas corpus" signifie soit, "présente le corps" [de l'homme arrêté, à un juge], ce qui rendait illégales les mises au secret d'un détenu pouvant durer sa vie entière, soit "présente le corps" [du délit à un juge], ce qui obligeait le questeur à fournir la raison de l'arrestation ou de la plainte [c'est à dire le délit reproché au prisonnier ou au mis-en-cause]. 

Question : comme un yaourt, une loi peut-elle périmer? Oui... Et même tout le temps. Elles changent [en fonction du pouvoir en place ou des situations, légitimement ou non] l'une surgit qui en contredit une autre qui cependant demeure, elles sont "aménagées", non appliquées*, voire carrément retournées, ce qui est interdit devenant obligatoire**... et parfois comme pour Aurore Martin, une "nouvelle" [le MAE] poussée comme un vilain furoncle peut vous envoyer tâter des prions prisons étrangères comme "Erasmus" envoie des étudiants se cultiver dans des universités de pays amis. (Lien) 

Dans ces cas délicats, l'appréciation du "délit" est laissée au magistrat, c'est à dire au Parquet, c'est à dire au pouvoir. Souvent arbitraire: un contrat commercial juteux en vue, des intérêts politiques avec le pays requérant, et hop extradition et hop au gnouf. Raison d'état.

*Exemple de la loi interdisant l'avortement qui pendant un certain temps, avant le procès de Bobigny ayant abouti à son abolition, n'était en général plus appliquée. Rappelons quand même que Marie-Louise Giraud (lien), guillotinée (en 43) l'a été pour avoir pratiqué des avortements à une époque où la saignée de la guerre rendait "obligatoire" la reproduction d'urgence de chair à canon [la contraception aussi était interdite.]

** Exemple l'obligation en Chine d'avorter après un seul enfant et lourdes sanctions (lien avec Mao Henfen) en cas de refus (lien avec "femmes à venir).